[PRESSE] La voix humaine de Jehan Titelouze par Forumpera.com

Par Yvan Beuvard – le 22 septembre 2020

L’écriture est le plus souvent verticale, aux imitations limitées, servant naturellement le texte et sa compréhension. Comme il était d’un usage fréquent, les parties vocales sont doublées par les cornets, les sacqueboutes et le serpent pour la messe Simplici Corde comme pour les versets intercalés du Magnificat du cinquième ton, et par un quatuor de violes pour la Missa Quatuor Vocum Votiva. Le Magnificat fait alterner la polyphonie de Bournonville, principe adopté dans le premier CD. Enfin, l’Annue Christe (des Hymnes de l’Eglise pour toucher sur l’orgue, 1623) insère deux hymnes de plain-chant, en étroite relation (Salva Redemptor et Sit tibi Jesu). La variété des climats trouve ainsi une illustration aussi séduisante que pertinente.

L’enregistrement n’appelle que des éloges. Les voix – un chanteur par partie – sont idéalement accordées, tout comme les instruments qui en assurent la doublure : l’harmonie, les équilibres et la dynamique sont au rendez-vous. Cornets, sacqueboutes et serpent, d’une part, ensemble de violes par ailleurs colorent les messes et le Magnificat et leur confèrent une profondeur inattendue. La conduite des lignes, l’intelligibilité du texte relèvent d’une incontestable maîtrise. Thomas Van Essen, orfèvre en la matière, signe non seulement une contribution majeure à la connaissance de ce répertoire mais aussi une réalisation musicale exemplaire.

On doit à Thomas Leconte, du CMBV, la passionnante introduction, qui nous plonge dans l’histoire de la maîtrise de la cathédrale de Rouen, où Titelouze tint l’orgue de 1588 à 1633, pour s’intéresser au compositeur, à son œuvre pour orgue et à ses messes. La brochure d’accompagnement décrit ensuite la composition de l’instrument de Notre-Dame de Champcueil, puis la registration des pièces enregistrées par François Ménissier.

Le nom de Titelouze est associé à l’orgue français dont il constitue le premier fleuron. « Voix humaine » ? Par-delà le jeu, alors au grand clavier (qui passera ensuite au récit), on savait que le compositeur avait publié « trois messes à 4 et à 6 voix, dont une éditée chez Ballard en 1626 ». Celles-ci ayant été découvertes par Laurent Guillo, ainsi qu’une quatrième, jusqu’ici inconnue, Thomas Van Essen et son ensemble Les Meslanges avaient entrepris leur enregistrement. Le premier volume Première mondiale après exhumation, permettait de mesurer l’importance de la découverte, maillon essentiel du passage au premier baroque. Outre leur écriture, originale à plus d’un titre, elles constituent une rareté. Titelouze est le seul organiste de son temps ayant signé des messes polyphoniques, et ces dernières sont les seules productions polyphoniques connues de la capitale normande au XVIIe S. Les mêmes interprètes nous livrent maintenant le second CD, qui achève le cycle.  Les principes éditoriaux et de réalisation qui ont fait le succès du premier volet sont maintenus, conférant une grande cohérence à cette somme.

[CONFÉRENCE-CONCERT] découvrez le second volume des Messes Retrouvées à Rouen le 13 octobre prochain !

– Conférence du musicologue Laurent Guillo autour de la découverte des Messes en 2016
– Concert de l’Ensemble Les Meslanges

Avec :

Laurent Guillo, conférence
Les Meslanges, Thomas Van Essen et Volny Hostiou
Marie Théoleyre, cantus
Vincent Lièvre-Picard, contratenor
Thomas van Essen, tenor
Philippe Roche, bassus
Eva Godard, cornet à bouquin
Volny Hostiou, serpent

Entrée libre, nombre de places limité, réservation obligatoire par mail à mediation.archives@seinemaritime.fr
Auditorium du Pôle Grammont – 42, Rue Henry II Plantagênet 76100 Rouen
Port du masque obligatoire / obligation de se désinfecter les mains avant d’entrer dans l’Auditorium

[PRESSE] « MOMENT DE GRÂCE » Par ConcertClassic.com

Les Meslanges de Thomas van Essen et Volny Hostiou pratiquent de longue date l’alternance orgue et plain-chant dans le répertoire du XVIIe siècle français, actuellement jusqu’à la charnière du XVIIIe. L’intérêt s’était initialement concentré sur Jehan Titelouze, père de l’École d’orgue classique française, avec lequel Les Meslanges avaient renoué début 2019, François Ménissier étant de nouveau à l’orgue, pour un premier CD (Paraty) consacré aux « Messes retrouvées » en 2016 par le musicologue Laurent Guillo ; un second album Titelouze est attendu en 2020. Les Messes de François Couperin se devaient, chronologiquement, de constituer l’étape suivante. Ce fut chose faite en 2016 et 2018, notamment à Saint-Germain-des-Prés (1) et au Festival de La Chaise-Dieu (2), avec à l’orgue Jean-Luc Ho  – leur gravure Couperin est annoncée pour le 10 avril chez Harmonia Mundi.

L’étape suivante ne pouvait qu’aboutir au plus grand nom de cette époque de l’orgue français, Nicolas de Grigny, dont Jean-Luc Ho et Les Meslanges : Vincent Lièvre-Picard (haute-contre), Thomas van Essen (taille, basse-taille, direction musicale), Philippe Roche (basse) et Volny Hostiou (serpent, direction musicale), proposaient le 3 mars à Saint-Germain-des-Prés la Messe de son unique Livre d’orgue – l’intérieur polychrome de l’église est désormais entièrement rénové, en particulier les fameuses peintures à la cire de Flandrin qui de nouveau resplendissent sous une voûte d’azur étoilé (3). Si l’orgue Haerpfer-Erman (1973) de Saint-Germain-des-Prés, relevé en 2004-2005 par Yves Fossaert et dont les premiers titulaires furent André Isoir et Odile Bailleux, n’a certes pas le charme de l’ancien, avec un chœur d’anches manquant quelque peu d’assise, de gravité et de noblesse, il n’en présente pas moins tous les éléments permettant de rendre justice tant aux timbres qu’aux plans sonores de l’orgue classique français, avec tous les équilibres requis dans les dialogues. Jean-Luc Ho, qui y a œuvré de 2006 à 2016, sait magistralement tirer parti de ce que cet instrument a de meilleur. Après l’Introït (intonation au serpent), tout d’abord en voix parallèles « débordant » brièvement en faux-bourdon, le plain-chant d’une rigoureuse sobriété et naturellement en latin gallican s’en tint pour l’essentiel à une alternance puissamment animée des trois voix parallèles avec serpent répondant, depuis le chœur, aux versets confiés à l’orgue de tribune. On sait combien l’œuvre de Grigny est somptueuse, du hiératique Kyrie initial à cinq parties sur pédale d’anches au lyrisme d’une grâce vivifiante des « pièces de caractère » tel le Trio en forme de dialogue de cromorne et de cornet, cette section du Kyrie se refermant sur un ébouriffant Dialogue sur les grands jeux d’une extrême vivacité sous les doigts d’un Jean-Luc Ho restituant toute la vive éloquence et le caractère altier de l’orgue classique français.

Le Gloria (intonation par Thomas van Essen) offrit à son tour ses moments fortement contrastés, du plus grandiose au plus bouleversant, nulle part la grandeur n’arborant d’ailleurs, à travers le jeu de l’organiste, une quelconque neutralité mais se trouvant constamment rehaussée d’une expressivité volontaire mais stylée, sans cesse remise en jeu au gré des mélanges de timbres. Ainsi la sublime Tierce en taille, avec toute la charge émotionnelle d’une dolente déploration aiguillonnée par un allant et une nervosité des rythmes singulièrement acérée, récit tragique à part entière. La Basse de trompette qui s’ensuit ne pouvait qu’offrir un prodigieux contraste, avec dans les grands écarts de main gauche comme une accélération momentanée du temps donnant le vertige, ce flux-reflux s’en revenant ensuite à l’équilibre. C’est peu de dire que Jean-Luc Ho vivifie et concentre les affects suggérés tant par la forme que par le texte sous-jacent, jouant volontiers des contrastes entre les pièces comme à l’intérieur de chacune d’elles. Ainsi la Fugue à cinq du Gloria, dont il sut magnifier l’éloquence extatique « en dépit » d’un mouvement incessant – force et légèreté du toucher, d’une vivacité et d’une franchise se doublant de maintes surprises dans l’écoulement individualisé du temps.

Une « déclamation » était annoncée (pas une lecture, mais un véritable spectacle vivant), entrecoupant le déroulé de la Messe. La première intervention d’Olivier Bettens, monté en chaire et déclamant en un vieux français nullement excessif, se fit à la fin du Gloria, bien qu’intervenant peut-être trop tôt – un Motet de Jean-François Lalouette, O Rex gloriae, prévu, ne fut pas donné. Le texte déclamé provenait des Livres XXIII-XXIV de Clovis, ou la France chrestienne : poème héroïque (4) de Jean Desmarets de Saint-Sorlin (1595-1676), retraçant l’histoire édifiante – luttes, guerres et amours, de prime abord – de Clovis : L’Astre dont les rayons dorent tout l’Univers / Rendoit le jour aux champs de ténèbres couverts. Admirable performance d’acteur, haute en couleur et prestance, débouchant avec éclat sur l’Offertoire, moment clé de la Messe, ici telle une épopée en réponse au texte précédent. Le second extrait de Clovis intervint après le Sanctus : Ainsi va le Monarque, & sa troupe de mesme / porte, en l’accompagnant, la couleur du Baptesme. Conversion et donc baptême de Clovis (avec miracle obligé de la colombe) par saint Remi, évêque de Reims, ville natale de Grigny, un temps organiste de l’abbaye de Saint-Denis, puis, de retour en son pays, de la cathédrale de Reims. Superbe Dialogue de flûtes de l’Élévation, vrai divertissement noblement dansé de tragédie lyrique, quand aux farouches guerriers de Clovis semblait répondre le Dialogue de l’Agnus Dei. Un ultime extrait : Enfin le grand Monarque, & sa royale Cour / Comblez des biens du Ciel en ce célèbre jour, enchaîna sur le Dialogue à 2 tailles de cromorne et 2 dessus de cornet de la Communion, d’un splendide cheminement. Les chanteurs s’en furent en tribune entonner la Prière pour le Roy de Clérambault, unique occasion de « distinguer » les voix, avant que le petit plein-jeu de l’orgue ne vienne clore cette Messe « pour les principales festes », un ultime lâcher de clavier, court et se défiant de toute insistance comme durant toute la Messe, couronnant dans la simplicité ce pur et ample moment de grâce.

Michel Roubinet
 

[DISQUE] Vol. 2 des Messes retrouvées : sortie le 11 SEPTEMBRE 2020

Le Volume 2 des Messes retrouvées de Jehan Titelouze sort le 11 SEPTEMBRE 2020 chez PARATY. Avec ce second volume des Messes retrouvées de Jehan Titelouze, l’intégrale des quatre messes publiées par Ballard en 1626 est désormais disponible. Il est l’aboutissement d’une découverte imprévue et extraordinaire du musicologue Laurent Guillo. Ce disque réunit plusieurs formations vocales doublées par cornets, sacqueboutes, serpent et violes… en dialogue avec le roi des instruments : l’orgue. 

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[CONCERT] Les Meslanges célèbrent le patrimoine en musique le 19 septembre !

Samedi 19 septembre 18h – Couvent des Ursulines (Rouen, France)
Musiques pour les Couvents au XVIIe siècle
Thomas Van Essen, taille
Sylvia Abramowicz, basse de viole
Anne-Marie Blondel, clavecin
Volny Hostiou, serpent

Pour la restauration du Cloître du Monastère des Bénédictines entreprise en 2017 par l’association Batificat, l’ensemble Les Meslanges propose le 19 septembre à 18h00 un programme de motets composés pour les couvents du Grand Siècle. Au programme, des oeuvres d’Henry DUMONT (1610-1684) et de Guillaume Gabriel NIVERS (1632-1714). 

Entrée libre, nombre de places limité, réservation obligatoire par mail à batificat@gmail.com